« Gouttes de pollution » – Voir la pollution en peinture

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« Gouttes de pollution, Tenerife ». Santa Cruz, Tenerife, le 25 aout à 7 heures du matin. L’ile de Tenerife est réputée, d’après les agences de voyage, pour la transparence de son eau et la qualité de son air. La réalité est très différente au nord de l’île, dans la ville de Santa Cruz où se trouve la raffinerie de Pétrole de la Compañía Española de Petróleos S.A. Malgré les remontrances de la commission européenne pour la présence en grande quantité de métaux lourds et d’hydrocarbures toxiques, la population de Santa Cruz est tout simplement en danger depuis de nombreuses années. Score AQI : 776, Hazardous+. Source : Consejería de Educación, Universidades y Sostenibilidad – Gobierno de Canarias.

J’explore dans cette série « Gouttes de pollution » la possibilité de représenter la pollution des grandes villes sous la forme de tableaux abstraits, en imitant la technique de « dripping » inventée par Jackson Pollock. Cette démarche a l’intérêt de proposer une forme visuelle facilement perceptible de la pollution, quand celle-ci est généralement invisible (à part sous forme de brouillard). L’impression générale de densité, de saturation et de nervosité est proportionnelle à la pollution réelle des lieux représentés. Pour cela, j’utilise les informations mesurées par les stations du monde pour déterminer sous quelle forme et en quelle quantité de la peinture doit être projetée. Tous les traitements, de la récupération des données au calcul du rendu final, sont réalisés avec le logiciel Blender.

Comme le souligne l’OMS, la pollution de l’air est alarmante dans le monde, et inégalement répartie. Bien sûr, ce sont les habitants des grandes villes qui en souffrent le plus directement, mais les points de concentration de particules fines les plus remarquables sont en général autour des usines de production d’énergie ou de pétrole.

Voici ci-dessous une représentation de Paris, la ville la plus polluée de France, mais qui reste bien en dessous des seuils de danger la majorité du temps.

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« Gouttes de pollution, Paris ». Ce 9 juin 2017 à 9h du matin, le taux de particules fines PM2.5 est quelque peu élevé : des personnes particulièrement sensibles comme des enfants asthmatiques pourraient être légèrement incommodées, mais la qualité de l’air est globalement considérée comme acceptable par les normes. Score AQI : 62, Moderate. Source AirParif – Association de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France. 

Les scientifiques observent que ce sont les villes les plus pauvres qui sont les plus polluées alors que les villes d’Europe de l’ouest s’en tirent bien. Une des raisons profondément inégalitaires est que nous importons des produits ayant pollué des centres de production situés hors d’Europe. Par exemple, la chine nous fournit nombre de nos produits manufacturés à partir de pétrole depuis ses usines, usines qui elles même consomment de l’électricité chinoise très carbonée (charbon).

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« Gouttes de pollution, Eerduosi ». Eerduosi (Ordos), situé en Chine, est une agglomération particulièrement riche en ressources naturelles. L’extraction du charbon, les traitements pétrochimiques, l’industrie textile et la production d’électricité permettent à Eerduosi (Ordos) de prospérer.  L’agglomération composée de plus d’un million d’habitants est extrêmement  exposée à la pollution de l’air, comme en cette fin d’après-midi ou le score en particules fines est au-delà des échelles d’évaluation. Toute la population est en risque immédiat. Ne faudrait-il pas évacuer en urgence ? Score AQI : 693, Hazardous+ (http://aqicn.org/city/eerduosi/).

Par contre nos agglomérations françaises moyennes bénéficient d’un air généralement sain.

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« Gouttes de pollution, Nantes ». Nantes, France, le 25 aout à 10h du matin. Le niveau de pollution est faible, la qualité de l’air est satisfaisante, sans risque pour les habitants dont les enfants peuvent pratiquer du sport en extérieur. Score AQI : 25. Good. Source Air Pays de la Loire.

D’un autre côté, il est effarant de constater que les villes à l’air le plus nocif sont en Inde, au Pakistan ou au Nigéria. En France, nos concentrations en particules fines sont – au pire – 10 fois moindres, mais Paris reste en tête, bien devant des agglomérations plus petites comme Nantes.

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« Gouttes de pollution, New Delhi ». Journée normale à New Delhi, pourtant les concentrations en particules PM2.5 (AQI : 135) sont très élevées.

Je tiens à remercier le World Air Quality Index (http://aqicn.org) qui fournit une API unique permettant de suivre en temps réel les relevés de pollution des stations du monde. Cet institut utilise une échelle standard de qualité de l’air, l’AQI (Air Quality Index), qui est basée sur la mesure de la concentration en particules fines PM10 et PM2.5, ainsi que sur les concentrations en CO, NO2, SO2 et O3. Un score allant de 0 à 500 est établi pour chacun de ces éléments, les valeurs supérieures à 100 étant problématiques. En particulier, les particules fines sont très régulièrement au-dessus des recommandations de l’OMS, notamment les particules inférieures à 2.5 nm qui peuvent pénétrer sans les poumons et même dans le flux sanguin.

Comment pouvons-nous représenter visuellement des concentrations de gazes nocifs et de particules fines quand l’un et l’autre sont transparents ? Je fais ici la proposition d’utiliser la technique dite de « dripping » développée par Jackson Pollock, technique qui consiste à faire goutter de la peinture sur une toile au sol, en veillant à conserver un mouvement naturel et à répartir globalement plusieurs couches de peintures de couleurs différentes. Cette notion de répartition, nommée « all over » est assez similaire avec le comportement des gazes et particules qui ont tendance à utiliser tout l’espace disponible.

J’ai utilisé les taux de particules pour décider du nombre de gouttes à projeter sur le tableau, et les concentrations en gaz pour les traits de peintures. Globalement, plus la toile est « chargée » d’éléments, plus la pollution est là.

Je n’ai pas pu représenter les villes les plus notoirement polluées, car les informations fournies pour ces villes sont trop lacunaires et ne me donnaient pas les 6 indicateurs que j’utilise. Par exemple, il n’y a pas de stations permanentes dans les villes africaines, alors que Aba, Kaduna ou Onitsha, toutes trois au Nigeria, sont 3 des 10 villes les plus polluées au monde.

J’ai donc choisi, un peu au hasard à l’exception de Paris et de Nantes, quelques villes aux valeurs remarquables ces derniers jours. Le site World Air Quality Index permet de naviguer en temps réel sur les pollutions de la planète. J’ai choisi des villes aux pollutions élevées (New Delhi, Shanghai) ou extrêmes (Eerduosi en Chine, Sderot en Israel, Santa Cruz de Tenerife en Espagne ou Monclova au Mexique). D’autres villes suivront certainement.

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« Gouttes de pollution, nord de Shanghai ». A Hongkou Liangcheng, au nord de Shanghai, en cet après-midi du 25 aout 2017, comme souvent la pollution est perçue de tous et gène immédiatement les plus sensibles. La santé des enfants est mise en danger principalement par les particules fines PM2.5 très présentes, qui pénètrent facilement leurs poumons. Score AQI : 151, Unhealthy. Source : Shanghai Environment Monitoring Center (上海市环境监测中心).

 

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« Gouttes de pollution, Sderot ». Sderot, Israel. En ce matin du 25 aout, l’air est à nouveau saturé de particules PM10. Cela est peut être la conséquence de l’arrêt des stations d’épuration de la bande de Gaza faute d’électricité. En effet, les eaux très polluées de gaza arrivent sur les plages israéliennes qui ont dû être fermées en juin. Des pompes récupèrent l’eau polluée et la font transiter vers le centre d’épuration de Sderot qui tourne à plein. Au delà de la grave pollution de l’eau, les particules fines empoisonnent l’air de toute l’agglomération, dont la santé est gravement en danger. Score AQI : 663, Hazardous+. Source Israel Ministry of Environmental Protection.

 

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« Gouttes de pollution, Monclova ». L’air de Monclova, au Mexique, est totalement saturé de particules fines (PM10 et PM2.5) avec des concentrations largement supérieures aux limites supérieures des classifications. L’air est également rempli d’ozone, d’ammoniaque, de méthanol et d’acide formique ! L’origine principale est connue, il s’agit de la centrale au charbon de 2600 Mégawatts, mais aussi l’agriculture sur brûlis. Le vent qui souffle du sud pousse la pollution en direction du Texas. La visibilité du Big Bend National Park est diminuée jusqu’à 60% ! Pourtant le Mexique souhaite continuer de développer l’énergie charbon car sa capacité de production d’électricité est encore faible. Score AQI : 869, Hazardous+. Source : INECC – Instituto Nacional de Ecologua y Cambio Climatico.

 

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